Ce qui n'empêchait pas sa fidélité indéfectible à la France, car même s'il était bardé de médailles c'était un très brave homme. Sitôt que Brana fut parti, il venait me voir chaque jour pour que je lui tape la liste de garde, et aussi souvent le dimanche pour lui écrire une lettre à sa famille restée du côté de Senlis dans l'Oise. Il m'avait prit à la bonne pour ma discrétion car il était très géné de ne pas savoir écrire. Brana m'en avait parlé un peu, mais je n'en parlais jamais à personne. Plus tard nous devînmes les meilleurs amis du monde, autant que l'on pouvait l'être entre un deuxième classe et un sous officier d'active.
Il y avait une chose à laquelle je ne m'habituais pas et cela dura pendant tout mon séjour en Algérie. J'avais une sainte horreur de monter la garde, pourtant cela revenait toutes les trois ou quatre nuits et souvent deux fois deux heures , deux avant minuit et deux après minuit. Quand l'escadron était en opération cela revenait toutes les deux nuits .
J'étais un peu trouillard, et rester deux heures dans le noir à scruter un carré de campagne pour ne rien voir au delà de vingt mètres, me tétanisait en tous cas au début. Je prenais peur de rien un doigt sur la gâchette de mon Mas 36. Je frissonnais au moindre bruit insolite provoqué par le vent , un oiseau de nuit, un chat ou chien errant. Le claquement du bec des cigognes me surprit au début mais devint rapidement familier. Il y en avait une dizaine de couples nichant non loin de là sur les catalpas de l'allée de l'entrée . Elles restèrent tout l'hiver et disparurent aux premières chaleurs sauf deux ou trois déplumées, trop vieilles pour faire le voyage.